Abbé Grégoire

"Qui veut comprendre le poète doit aller au pays du poète." Goethe
Rendons-nous donc dans la terre natale de Grégoire.

Grégoire en Lorraine...

De 1786 à 1788, l'agronome anglais Arthur YOUNG visite le royaume de France et constate l'avancement de la Lorraine sur les autres provinces du royaume de France autant dans le domaine culturel que dans l'agriculture.
Le 4 décembre 1750, très tard dans la nuit, naît Henry Grégoire à Vého.
Il naît français, lorrain au sens géographique du mot, mais politiquement il est un sujet du roi de France, Vého appartenant à l'évêché de Metz, terre française
Bastien Grégoire, son père, est un simple ouvrier tailleur d'habits, sa mère, Marguerite Thiébaut, sans profession. D'eux, Henry Grégoire dira plus tard dans ses Mémoires :

"Quant à moi, dont la roture remonte probablement jusqu' à Adam, né plébéien [...], persuadé, comme le dit un poète, que chacun est le fils de ses œuvres, je ne veux jamais séparer mes affections ni mes intérêts de ceux du peuple. " [...]
Je remercie le ciel de m'avoir donné des parents qui, n'ayant d'autre richesse que la piété et la vertu, se sont appliqués à me transmettre cet héritage".

Henry est.baptisé le 5 décembre 1750 par le chanoine Christophe.
A Vého il fréquente l'école du régent Nicolas Houssemont. Pour ses 8 ans, il sait lire et écrire.

En 1758, il est pris en main par l'abbé Cherrier, curé d'Emberménil, qui accueille dans le collège qu'il a fondé des enfants de familles aisées et de petite noblesse.
Le petit Grégoire y est un élève non-payant, ses parents n'ayant pas les moyens de payer ces études. Seuls ses dons intellectuels lui ont ouvert cette porte. Il étudie les saintes Écritures, les mathématiques, la géométrie et la grammaire de Port-Royal-des-champs, lit Racine et Pascal. Dès cette époque apparaît sa vocation sacerdotale.
En 1763, il part à Nancy et, grâce à un ami de l'abbé Cherrier, Joseph-Henry Sanguiné, entre au noviciat des Jésuites. L'abbé Sanguiné jouera plus tard un rôle important dans la formation de Grégoire lorsqu'il sera son professeur de théologie dans les années 1771-1774.

En 1764, âgé de 14 ans, il est admis au collège des Jésuites. Il étudie le français, le latin, le grec, l'histoire et la géographie, lit Bossuet, Voltaire et Rousseau.

"J'étudiais chez les Jésuites à Nancy où je recueillis de bons exemples et d'utiles enseignements. J'y eus pour régent le Père Beauregard, fameux prédicateur. Je conserverai jusqu'au tombeau un respectueux attachement à mes professeurs, quoique que je n'aime pas l'esprit de la défunte Compagnie."

écrivit Grégoire dans ses Mémoires.

En 1768, les Jésuites sont chassés de Lorraine (deux années après la mort de Stanislas qui les avait protégés jusque là); l'université qu'ils dirigeaient à Pont-à Mousson est transférée à Nancy. Grégoire y entre le 3 novembre 1768. Il fréquente la bibliothèque publique créée par Stanislas et s'y lie d'amitié avec le chevalier de Solignac, ancien secrétaire particulier du duc de Lorraine, qui l'initie à la question des juifs, ainsi que le père Gautier, ancien précepteur des pages de Stanislas et mathématicien.

"Lorsque, pour la première fois, j'entrai à la bibliothèque de Nancy, l'abbé Marquet, alors sous-bibliothécaire, me dit : Que désirez-vous, –Des livres pour m'amuser. – Mon ami, vous vous êtes mal adressé : ici on n'en donne que pour s'instruire. –Je vous remercie. De ma vie je n'oublierai la réprimande."

Grégoire passe ensuite deux ans (1769-1771) au séminaire de Metz où un de ses professeurs, Adrien Lamourette, lazariste, qui pensait à propos des juifs que "cette portion si humiliée de nos frères devait être réintégrée dans l'espèce humaine", encourage la réflexion de Grégoire à ce sujet. De 1771 à 1774, Grégoire est à Pont-à-Mousson où il retrouve l'abbé Sanguiné qui y dirige le collège dépendant du séminaire de Metz; Grégoire, trop jeune encore pour être ordonné prêtre, y devient régent de 6ème.
En août 1773, Grégoire fait parvenir à la Société des sciences et des arts à Metz un exemplaire de son Eloge de la poésie qui vient de recevoir le prix des Belles-Lettres attribué par la Société royale des sciences et des lettres de Nancy.

En 1774 Grégoire revient au séminaire de Metz pour se préparer à son ordination. Cette même année il rencontre Isaïe Berr-Bing, savant de la communauté juive de Metz.
Le 1er avril 1775, il est ordonné prêtre par Monseigneur de Montmorency-Laval, en l'église abbatiale St Arnould de Metz.
Le 1er mai , il est nommé vicaire à Château-Salins (57).
Le 6 janvier 1776, il est nommé vicaire de Marimont la Grande (57). Il y restera six ans, y dirigeant, entre autres tâches, la reconstruction de l'église St-Denis de Bassing. A Marimont, Grégoire est très attentif à la vie concrète et spirituelle de ses paroissiens qui garderont longtemps le souvenir de son zèle.
Cette année 1776, Grégoire est l'un des membres fondateurs de la Société philanthropique de Nancy dont les associés déclarent que "leur association est à base d'amour des hommes ("Homo sum, humani a me nihil alienum puto", ainsi que le dit Térence); ils excluent de leur compagnie les avares et les orgueilleux, ceux qui par superstition stupide regardent la tolérance comme une impiété; ils désirent vénérer la religion révélée, en pratiquer religieusement la morale, mais, contents de croire et d'adorer, s'interdisent la discussion des dogmes; ils ne croient pouvoir mieux honorer la divinité que par l'amour du prochain, la bienfaisance et la bonté du cœur."
Cette société philanthropique est la fille de celle créée à Strasbourg en 1775. En 1779, elle propose comme sujet de concours : la place accordée aux Juifs dans la société, tant sur les plans civil que politique et social. Grégoire répond par un mémoire, montrant que sa réflexion sur ce sujet se poursuit. Il retravaillera, quelques années plus tard, ce mémoire pour répondre à une nouvelle mise en concours lancée cette fois par la Société royale des sciences et des arts de Metz.

Le 5 mai 1782, il devient curé d'Emberménil, succèdant à son ancien maître l'abbé Cherrier qui avait exprimé ce vœu dans son testament.
Dès son arrivée dans cette paroisse, Grégoire fait enlever les statues de l'église; à ses yeux, prier devant une statue est de l'idolâtrie. La prière du paysan qui travaille sa terre, celle de la femme qui vaque à ses tâches, celle que l'homme adresse à Dieu devant les beautés de la Création, ont davantage de valeur.
Sa méthode oratoire offre l'attrait de la nouveauté et ses sermons ressemblent à de simples causeries, comme dans l'Eglise antique. Il se positionne comme un curé nouveau, soucieux de développer une foi solide chez ses paroissiens qui le vénèrent.
Il s'occupe activement d'eux: il ouvre une école d'agriculture dans son presbytère et installe une bibliothèque avec 76 ouvrages traitants non seulement de religion, d'ascétisme, de piété mais surtout d'art mécanique, d'hygiène, de soins aux malades, d'art vétérinaire, de sciences, de géométrie, d'arithmétique, de droit rural, de connaissance des plantes, d'apiculture, d'économie rurale, ...

"L'époque de ma vie la plus heureuse est celle où j'ai été curé d'Emberménil. Un curé digne de ce nom est un ange de paix. Il n'est pas un jour, un seul jour, où il ne puisse en le finissant s'applaudir d'avoir fait une foule de bonnes actions." (Mémoires de Grégoire)

Le 21 juillet 1785, il reçoit à Emberménil le célèbre pasteur Jean Frédéric Oberlin du Ban de la Roche à
Waldersbach.

Le 15 septembre 1786, la fête de Rosh Hashanah (nouvel an juif) est célébrée dans la synagogue de Lunéville qui vient d'être construite. Invité à prêcher ce même jour en l'église St-Jacques de Lunéville, Grégoire fait sensation en concluant son sermon par "les Juifs, mes frères".

Entre 1786 et 1788, il voyage en Suisse et Outre-Rhin. Il rend visite, en Alsace, aux pasteurs Stuber et Oberlin. Tous deux ont, comme Grégoire, le souci zélé de leurs paroissiens, le souci de les aider à progresser dans tous les domaines et Grégoire admire leur méthode d'enseignement: enseigner les choses et les mots.
En 1787: constitution d'un syndicat des curés du diocèse de Nancy. Grégoire est un des 12 commissaires.
Par ses études et ses voyages, il devient le "prêtre des lumières".

23 août 1788, Grégoire publie l'Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs, mémoire qui répond à la question mise en concours par la Société royale des sciences et des arts de Metz : "Est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux en France?", et qui est couronné.

L'entrée dans la vie politique

etat generaux bnf miniL'état financier désastreux de La France et le refus des classes privilégiées d'accepter une plus grande égalité dans le paiement de l'impôt, qui repose presque exclusivement sur le tiers-état, génère une crise politique grave. Les réformes proposées échouent En août 1788, le roi accepte, pour tenter de sortir de la crise, la convocation des états généraux – qui ne s'étaient pas réunis depuis 1614 – au 5 mai 1789. Commence alors la campagne pour l'élection des délégués et la rédaction des cahiers de doléances.

Dès janvier 1789, Grégoire engage les curés lorrains à participer au débat politique. Par une lettre datée du 22 janvier et cosignée de deux autres curés, A MM. les curés lorrains et autres ecclésiastiques séculiers du diocèse de Metz, il précise l'enjeu du combat :

"Que le Clergé renonce à tout privilège en matière d'impôts.[...] Nous sommes d'abord citoyens, toutes les autres qualités s'effacent devant celle-là. Mais comme curés nous avons des droits."

Du 23 au 28 mars 1789 se déroulent les élections du bailliage de Lunéville. Le 26, Grégoire est élu au 1er tour. Il est contesté par les religieux réguliers, mais un deuxième vote le désigne de nouveau, avec plus de voix encore qu'au premier tour.
La désignation des délégués se poursuit à Nancy; le 6 avril, Monseigneur de la Fare est élu, Grégoire le sera au 3ème tour. Le 27 avril, Grégoire prend la diligence pour Paris.
Le 5 mai, c'est l'ouverture des états généraux à Versailles. Grégoire s'engage aussitôt dans le combat pour faire admettre le vote par tête (une personne, une voix) au lieu du vote par ordre (une voix pour la noblesse, une voix pour le clergé, une voix pour le tiers-état) et contribue à obtenir ce changement si important. En effet, le nombre des députés du tiers-état ayant été doublé pour ces états généraux, grâce au vote par tête le tiers peut infléchir le cours des événements, ce qui serait impossible avec le vote par ordre.
Le 10 juin, Grégoire publie une lettre adressée aux curés députés pour les exhorter à rallier le tiers état, qu'il rejoint lui-même le 14 juin, à la suite de trois prêtres du Poitou. Grégoire avait souhaité continuer à
intervenir dans la salle du clergé pour obtenir le ralliement de la majorité des curés.
Très vite donc, Grégoire se fait remarquer par son ardeur, sa droiture et la fermeté de ses convictions religieuses mais aussi, désormais, politiques.
Le 17 juin, le tiers-état se proclame "seul représentant de la nation" et devient "Assemblée nationale" puis "Assemblée nationale constituante" le 9 juillet. Grégoire et La Fayette siègent au centre gauche.

Le 20 juin 1789, les députés du tiers et ceux qui l'ont rejoint prêtent le «Serment du jeu de paume» par lequel ils jurent "de ne point se séparer avant d'avoir donné une constitution au royaume". Dans sa fameuse esquisse le peintre Louis David donne la place de choix à Grégoire: il est représenté au centre du tableau, rassemblant autour de lui le protestant Rabaut Saint-Etienne et le chartreux dom Gerle.
Le 3 juillet, Grégoire devient l'un des deux secrétaires de l'Assemblée, désigné à la quasi unanimité.
Les 13, 14 et 15 juillet 1789, en l'absence de Lefranc de Pompignan,Grégoire préside à l'Assemblée la fameuse séance qui va durer 72 heures. Il dit, le 13 juillet, devant la menace militaire que font peser sur l'Assemblée les troupes appelées par le roi:

"Ils pourront éloigner la Révolution, mais certainement, ils ne l'empêcheront pas. Des obstacles nouveaux ne feront qu'irriter notre résistance : à leurs fureurs nous opposerons la maturité des conseils et le courage le plus intrépide."

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Lors de la nuit du 4 août , le principe de l'égalité des droits est acquis, avec la proclamation de l'abolition des privilèges qui allait marquer la fin de la féodalité. Grégoire obtient l'abrogation des annates, " monument de simonie ", propose la suppression du droit d'aînesse (qui sera votée en novembre 1790) et intervient avec Sieyès sur la question des dîmes.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Le 26 août, après six jours de débats, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen –dix-sept articles et un préambule– est adoptée par l'Assemblée. Suggérée par les philosophes des Lumières, réclamée par beaucoup de cahiers de doléances et portée par de nombreux députés aux états généraux, la rédaction de la Déclaration était engagée dès le 6 juillet, en préalable à l'élaboration d'une Constitution.
De ce moment, Grégoire va faire la preuve d'une conception plus réfléchie que celle de la plupart de ses collègues en posant également la question des devoirs des citoyens en équilibre à celle des droits (intervention devant l'Assemblée le 12 août). Grégoire souhaitait également que la Déclaration fasse explicitement référence à Dieu.

" Si l'homme a des droits, il faut parler de celui dont il les tient et qui lui imprime des devoirs. Il faut montrer à l'homme le cercle qu'il peut parcourir et les barrières qui peuvent et doivent l'arrêter."

La Déclaration sera simplement placée sous les auspices de l'Être suprême et ne mentionnera pas les devoirs du citoyen.
À Grégoire est particulièrement attribué l'article premier : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ", lequel résume toute la Déclaration.

Le 28 août, il imprime et distribue sa Motion en faveur des juifs, précédée d'une Notice historique sur les persécutions qu'ils viennent d'essuyer en divers lieu, notamment en Alsace, et sur l'admission de leurs députés à la barre de l'Assemblée nationale, texte clair et précis qui demande pour les juifs l'accès aux postes de fonctionnaires et de responsabilités au gouvernement et pour que leurs soient ouvertes les portes des écoles, des collèges, des lycées et de toutes les institutions.

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Le 4 septembre 1789 a lieu un important débat sur le veto royal. Grégoire intervient et fait valoir que le roi ne doit pas disposer d'un droit de veto absolu, mais seulement suspensif; l'Assemblée le suit. Pour Grégoire la sanction royale, c'est-à-dire l'adoption par le roi des décrets de l'Assemblée, n'est rien d'autre que l'engagement du roi à appliquer, exécuter les décisions de l'Assemblée. A partir de ce moment, parlant du roi, Grégoire dit:

"Je ne dis pas le souverain; désormais ce terme désignera la Nation."

Il s'oppose par ailleurs à la liste civile octroyée au roi qu'il juge excessive
Le 29 septembre, il propose et fait voter la suppression de la gabelle.
Le 14 octobre, à l'Assemblée, il reçoit une délégation de juifs venue de Nancy (menée par Isaïe Berr-Bing) et demande que l'Assemblée traite immédiatement de la place des juifs dans la nation. A partir de ce jour, et bien que le décret leur accordant la citoyenneté sera voté seulement deux ans plus tard (27 sept. 1791), les juifs ont le sentiment d'être français.

Le 4 décembre 1789, sur intervention de Grégoire, l'Assemblée constituante autorise l'admission des sang-mêlés à la représentation nationale. Le 9 décembre, Grégoire adresse à l'Assemblée son Mémoire en faveur des gens de couleur et de sang-mêlé de St Domingue et des autres îles francaises de l'Amérique dans lequel il plaide pour les droits des hommes de couleur libres mais aussi contre l'esclavage.
Egalement en décembre 1789, Grégoire devient membre à part entière de la Société des Amis des Noirs, fondée par Brissot de Warville en 1788 et qui comptait dès le début parmi ses membres trois autres lorrains:
Saint Lambert, le Chevalier de Boufflers et le Maréchal de France, Prince de Beauvau-Craon. Il en deviendra le président le 19 janvier 1790.

Du 19 au 28 janvier 1790, il préside l'Assemblée Constituante.
Le 28 janvier, Grégoire obtient les droits de citoyens pour les juifs de Bordeaux et des états du Pape.
En février, Grégoire publie son Rapport sur le dessèchement des marais, les défrichements et les plantations.
Le 12 juillet 1790 est votée la Constitution civile du clergé.
Le 13 août Grégoire adresse aux municipalités, aux curés, aux clubs politiques, une enquête intitulée Questions relatives aux patois et aux moeurs des gens de la campagne.
Il défend les académies et sociétés savantes, dont il s'agit de voter le budget :

"Ces établissements font la gloire des nations. [...] Elles doivent être libres, la liberté est leur élément."

Le 12 octobre, Grégoire, par sa Lettre aux philanthropes sur les malheurs, les droits et les réclamations des gens de couleur de St Domingue et des autres îles françaises de l'Amérique, dénonce la décision de l'Assemblée de confier à des assemblées ouvertes aux seuls planteurs le soin de modifier éventuellement le statut des personnes de couleur.

Le 27 décembre 1790, Grégoire est le premier à prêter serment à la Constitution civile du clergé.
Le 14 février 1791, il est élu évêque de Blois et consacré par Gobel dans l'église de l'oratoire du Louvre le 13 mars.
Le 14 mars, il adresse une lettre de communion à Pie VI.

En mai 1791 ont lieu à l'Assemblée de violents débats sur les colonies qui aboutissent à un décret (voté le 15 mai) reconnaissant les droits politiques des gens de couleur nés de père et de mère libres. Aussitôt est placardée dans les rues de Paris la liste des traitres: Brissot, les frères Clavières, Condorcet, Destutt de Tracy, La Fayette, Monge, Robespierre, Sieyès, mais le premier en tête de liste est Grégoire, qui s'écrie:

"Honneur éternel d'avoir été inscrit le premier sur un tel placard!"

Le 8 juin, Grégoire, exultant, adresse une Lettre aux citoyens de couleur et nègres libres de St Domingue et des autres îles françaises de l'Amérique :

"Amis, vous étiez hommes, vous êtes citoyens et réintégrés dans la plénitude de vos droits, vous participerez désormais à la souveraineté du peuple. Le décret que l'Assemblée nationale vient de rendre à votre égard, sur cet objet, n'est point une grâce, car une grâce est un privilège, un privilège est une injustice; et ces mots ne doivent plus souiller le code des Français. En vous assurant l'exercice des droits politiques, nous avons acquitté une dette; y manquer eût été un crime de notre part et une tache à la constitution."

Le 21 juin 1791, c'est la fuite du roi à Varennes. Quand se répand dans le pays la nouvelle de l'arrestation de la famille royale, Grégoire, s'adressant à la foule rassemblée aux Tuileries déclare :

"Qu'importe la fuite d'un parjure dont on peut très bien se passer?"

Plus tard, dans ses Mémoires, Grégoire écrivit :

"on eut la simplicité de ramener le transfuge, qu'il fallait pousser hors de la frontière, en lui fermant à jamais les portes de la France [...] un roi est à mon avis une superfétation politique; la fuite de Loius XVI me parut l'époque offerte par la Providence pour établir la république, et tant de gens qui l'ont répété depuis me traitaient alors de visionnaire forcené. [...] Oui, je déclare que je suis venu avec la haine profondément sentie et raisonnée de la tyrannie, et le respect également senti et raisonné pour les droits du souverain, c'est-à- dire du peuple."

Grégoire demande la déchéance et la mise en jugement du roi.
Le 14 septembre, le roi accepte la nouvelle Constitution.
Avignon et le comtat Venaissin sont rattachés à la France.

Le 16 septembre, Grégoire proteste contre la remise en cause du décret du 15 mai qui accordait les droits politiques aux gens de couleur libres. Le combat est loin d'être terminé...

synagogue luneville miniLe 27 septembre 1791, parution du décret proclamant que les juifs de France sont citoyens français et jouissent donc de tous les droits civils et politiques. Conclusion heureuse de ce combat si important pour Grégoire :

"J'étais venu à l'Assemblée Constituante avec la résolution d'y plaider la cause des Juifs."

Le 1er octobre, l'Assemblée législative succède à la Constituante dont les députés ne peuvent siéger dans la nouvelle assemblée.

Le 15 octobre, Grégoire est élu président du Conseil général du Loir-et-Cher.

L'abolition de la royauté

Le manifeste de Brunswick, diffusé à partir du 28 juillet 1792, qui menace des pires représailles les parisiens s'ils osaient s'en prendre à la personne du roi, a entrainé la colère de la foule qui, le 10 août suivant, s'empare des Tuileries. Le roi et la reine sont alors incarcérés à la prison du Temple.
Le 17 septembre 1792, Grégoire est élu, par le département du Loir-et-Cher, député à la Convention, qui succède à l'Assemblée législative le 21 septembre. En tant que Commissaire, Grégoire y tient une place importante

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Le 20 septembre, au cri de "vive la Nation!", l'armée française commandée par Kellerman et Dumouriez remporte la victoire de Valmy qui desserre l'étau des armées étrangères, commandées par Brunswick, venues appuyer les émigrés dans leur guerre contre la révolution.

Le 21 septembre 1792, lors de la première séance de la Convention nationale, Grégoire demande et obtient l'abolition de la royauté :

"Il faut détruire ce talisman dont la force magique serait propre à stupéfier encore bien des hommes [...] les cours sont l'atelier du crime, le foyer de la corruption et la tanière du tyran. Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre physique, leur histoire est celle du martyrologe des nations".

Le premier décret pris par la Convention sur proposition de Collot d'Herbois et de Grégoire proclame :
"La Convention nationale décrète à l'unanimité que la royauté est abolie en France".

"Ce fut mon plus grand titre de gloire d'avoir été le rédacteur de la nation qui abolit la royauté lors de la première séance de la Convention nationale."

Le 12 octobre, Grégoire est nommé président du comité diplomatique; il fait partie également du
comité des colonies, du comité d'instruction publique et du comité de salut public (ce dernier comité sera créé en mars 1793).
Le 15 novembre 1792, avec 246 voix sur 352, il est élu président de la Convention nationale, fauteuil qu'il occupe jusqu'au 28.
Le 15 novembre 1792, il prononce un discours où il demande que Louis XVI soit jugé, tout en déclarant réprouver la peine de mort. (Opinion du citoyen Grégoire concernant le jugement de Louis XVI) :

" Je réprouve la peine de mort; et, je l'espère, ce reste de barbarie disparaîtra de nos lois.
Il suffit à la société que le coupable ne puisse plus nuire : assimilé en tout aux autres criminels, Louis Capet partagera le bienfait de la loi, si vous abrogez la peine de mort; vous le condamnerez alors à l'existence, afin que l'horreur de ses forfaits l'assiège sans cesse et le poursuive dans le silence de la solitude."

Le Conventionnel représentant en mission

Le 21 novembre, il accueille une délégation venue de Savoie pour demander le rattachement de cette province à la France; il leur répond longuement :

"...ce fut un grand jour pour l'univers, celui où la Convention nationale de France prononça ces mots : La royauté est abolie. De cette nouvelle ère, beaucoup de peuples dateront leur existence politique. [...] Un siècle nouveau va s'ouvrir; les palmes de la fraternité et de la paix en orneront le frontispice. Alors la liberté, planant sur toute l'Europe, visitera ses domaines et cette partie du globe ne contiendra plus ni forteresses, ni frontières, ni peuples étrangers."

Le 27, il présente à la Convention son Rapport sur la réunion de la Savoie à la France.
La Convention décide : "après avoir entendu le rapport des comités, et avoir reconnu que le vœu libre et universel du peuple souverain de la Savoie, émis dans les assemblées de commune, est de s'incorporer à la toute jeune République française, considérant que la nature, les rapports et les intérêts respectifs rendent cette réunion avantageuse aux deux peuples, déclare qu'elle accepte la réunion proposée, et que dès ce moment, la Savoie fait partie intégrante de la République française ".
Le 29 novembre la Convention désigne Grégoire, Simond, Jagot et Hérault de Séchelles pour organiser les nouveaux départements du Mont-Blanc et des Alpes Maritimes (Savoie, Comté de Nice et Principauté de Monaco).

Le 6 décembre, dans un discours, il demande la suppression de la peine de mort et que Louis XVI soit le premier à profiter de cette loi.
Le 11 décembre 1792 débute le procès de Louis XVI.

Entre février et mai 1793, Grégoire et Jagot organisent la nouvelle administration des départements, leur division territoriale en districts, cantons et communes et préconisent des améliorations économiques : aménagement du canal de la Vésubie, développement des industries de la porcelaine, du tabac et des tissus, création d'une route carrossable vers Conti et Turin.
Grégoire louera les Savoisiens :

"un peuple plus voisin que nous de la nature, et conséquemment soumis à moins de besoins factices, à moins de vices; il est religieux sans fanatisme; la frugalité, la probité sont ses attributs; [...] le Savoisien déployant la fierté d'une âme qui ne fut jamais rétrécie par la servitude, prouve que l'homme des montagnes est vraiment l'homme de la liberté ".

Le 20 janvier 1793, les quatre délégués de la Convention en Savoie, dont Grégoire, écrivent et signent conjointement : "instruits depuis longtemps des trahisons de ce roi parjure, nous déclarons que notre vœu est pour la condamnation de Louis Capet sans appel au Peuple". Grégoire et Jagot rayent les mots "à mort".
Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné.

Le 8 février, Grégoire, à Sospello (Alpes-Maritimes), à cheval et en habit violet d'évêque, sous les tirs des canons piémontais, passe en revue l'armée d'Italie (troupes de Kellermann).
Ce même mois de février, pour faire face aux armées étrangères coalisées contre la révolution, la Convention déclare "la patrie en danger" et décide de lever une armée de 300 000 hommes.
Le 10 mars 1793, soulèvement de la Vendée.

"La guerre de Vendée, la décision la plus hideuse qu'un gouvernement ait eu à prendre"
dit Grégoire.

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Le 6 mai 1793, Grégoire restitue à la Convention nationale les quelques fonds et assignats économisés en Savoie et dans les Alpes Maritimes : 2596 livres en assignats et 514 livres en numéraire.
"
Le 17 mai, il remplace Mallarmé à la présidence de la Convention et appelle à l'union des députés alors que les sectionnaires parisiens menés par Henriot tiennent l'Assemblée sous la menace des canons et font pression pour que soient exclus les Girondins (journée du 2 juin 1793).
Le 18 juin, Grégoire, très applaudi, lit son projet de Déclaration du droit des gens qui définit les principes du droit international mais la Convention ne le vote pas, peut-être parce que son application eût été difficile dans les circonstances du moment.
Dans un contexte apaisé, en avril 1795, il représentera ce projet qui plaide pour l'égalité entre les nations, petites et grandes, mais sans succès; sans doute était-il trop tôt pour de telles idées...I
Il faudra attendre 1948 quand René Cassin, président de la Ligue européenne des droits de l'homme, reprendra les textes de Grégoire pour l'élaboration de la Charte universelle des droits de l'homme adoptés par les Nations Unies.

Le 27 juin 1793, il est nommé au Comité d'instruction publique, dont il est la cheville ouvrière. Le Comité reprend la tâche d'établir un plan d'éducation nationale, qui avait été primitivement confiée à la commission d'instruction publique.
À ceux qui refusaient que le peuple soit instruit en prétendant que l'éducation est source de corruption
– ainsi le marquis de Foucault, qui écrit: "Ce serait le plus grand des malheurs si tous les Français savaient lire." – Grégoire répondait :

"La vertu a sa place naturelle à côté des lumières et de la liberté."
"La première priorité de la Nation est l'instruction publique."

Le 27 juillet 1793, Grégoire, président de la Société des amis des Noirs, membre de la commission coloniale, fait supprimer par décret la prime royale de 2,5 millions de francs or versée aux négriers pour encourager la traite des Noirs.

"Jusqu'à quand allez-vous tolérer ce honteux trafic de la chair humaine?"

Le 29 juillet, il présente un rapport sur l'organisation des départements du Mont-Blanc et des
Alpes-Maritimes.

Grégoire au Comité d'instruction publique

Le 30 juillet 1793, le Discours du citoyen Grégoire, député de Loir-et-Cher, sur l'éducation commune préconise la création d"écoles normales pour former les instituteurs laïcs. La première école normale ouvrira le 10 octobre 1794. Le mot "instituteur" est ici employé dans le sens que nous lui connaissons aujourd'hui, alors qu'avant la révolution il avait une autre signification.

"Il faut créer des écoles normales pour y former des instituteurs laïcs; s'ils sont bons, vous aurez tout. Avec eux, l'instruction et la vertu pénètreront l'enfant par tous les sens."

Le 8 août 1793, il présente le décret d'abolition des Académies et annonce en même temps la fondation d'un corps de savants qui sera l'originalité de l'Institut, créé en 1795.
Le 3 septembre, il est nommé président du comité d'instruction publique

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Le 4 octobre , il présente un rapport et fait adopter un décret pour améliorer l'agriculture par l'établissement d'une maison d'économie rurale dans chaque département.
Le 7 novembre, à la tribune de l'Assemblée,Gobel et ses vicaires renoncent, sous la pression populaire, à leurs fonctions de ministres du culte. Grégoire monte à la tribune et proclame sa foi.:

"On me parle de sacrifices à la patrie, j'y suis habitué; s'agit-il d'attachement à la cause de la liberté? j'ai fait mes preuves; s'agit-il du revenu attaché à la condition d'évêque, je vous l'abandonne sans regret; s'agit-il de religion? cet article est hors de votre domaine et vous n'avez pas le droit de l'attaquer. J'entends parler de fanatisme et de superstitions... je les ai toujours combattus : mais qu'on définisse ces mots, et l'on verra que la superstition et le fanatisme sont diamétralement opposés à la religion.
Quant à moi, catholique par conviction et par sentiment, prêtre par choix, j'ai été désigné par le peuple pour être évêque; mais ce n'est ni de lui ni de vous que je tiens ma mission. J'ai consenti à porter le fardeau de l'épiscopat dans un temps où il était entouré de peines : on m'a tourmenté pour l'accepter; on me tourmente aujourd'hui pour faire une abdication qu'on ne m'arrachera pas. J'ai tâché de faire du bien dans mon diocèse; agissant d'après les principes sacrés qui me sont chers et que je vous défie de me ravir, je reste évêque pour y en faire encore; j'invoque la liberté des cultes."

Dans ses Mémoires, Grégoire dit de ce discours improvisé : "en le prononçant, je crus prononcer mon arrêt de mort : pendant dix-huit mois je me suis attendu à l'échafaud."

Robespierre et Danton approuvèrent la résistance de l'évêque de Blois.
L'abbé Siran, adversaire de Grégoire, lui adressera en 1801 un bel éloge: "Grégoire évêque de Blois, fit preuve d'héroîsme, seul il eut le courage de résister au torrent, il exposa sa tête pour ne pas compromettre les principes".
Le 11 novembre, est placardé sur les murs de Paris un extrait du Sans-Culotte observateur menaçant Grégoire qui en fit arracher un exemplaire qu'il garda précieusement : "à cette époque un article de cette nature était une espèce de proscription."

Le 22 novembre, il présente un projet de décret : "Les inscriptions sur les monuments publics seront désormais en langue française." Le décret est voté. Mais, en même temps, il se bat pour la conservation des monuments anciens qui étaient la cible d'importantes dégradations.

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Dans son Rapport sur les inscriptions des monuments publics, Grégoire s'attaque au vandalisme ("J'ai créé le mot pour tuer la chose.", dit-il) :

"La barbarie contre-révolutionnaire qui voudrait nous appauvrir en nous déshonorant."

Pas moins de trois rapports de Grégoire sur le vandalisme suivront en 1794 (31 août, 29 oct., 14 déc.) pour que soient prises des mesures de protection du patrimoine.

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Le 26 janvier 1794, il fait adopter un décret pour la composition des livres élémentaires et l'augmentation du nombre des écoles primaires

Le 4 février 1794: 1ère abolition de l'esclavage. Grégoire insiste pour que soit employé dans la loi le terme même d' esclavage afin que le décret ne puisse pas, par la suite, être faussé et interprété dans un sens favorable aux partisans de l'esclavage.(il se souvenait de ce qui s'était produit avec les instructions du 28 mars 1790 qui, parce que la rédaction n'en était pas claire et précise, furent interprétées par le lobby des planteurs blancs dans un sens défavorable aux personnes libres de couleur : par racisme, les planteurs refusèrent la qualité de citoyens actifs aux hommes libres de couleur et n'appliquèrent pas les instructions dans les îles; ceci fut à l'origine de la condamnation et du supplice de Jacques-Vincent Ogé, de son frère ainsi que de son beau-frère, Jean-Baptiste Chavannes, noir affranchi, en 1791 à St Domingue).

"Du moment où les Français renaissent à la liberté, oseraient-ils consacrer l'esclavage de leurs frères?"

Le 11 février, il présente un rapport établissant un système de dénomination et de numérotation des places, rues, quais et autres lieux.
En mars, il demande qu'on dispense dans toutes les villes des cours de premiers soins aux malades.
Le 12 avril, il présente un Rapport sur la bibliographie et fait adopter un décret:

"Il faut organiser des bibliothèques. [...] Des bibliothèques et des musées formés avec choix sont en quelque sorte les ateliers de l'esprit humain. Il faut révolutionner les arts, rassembler tous les matériaux , tous les moyens, et transmettre cet héritage aux générations futures."

Le 1er juin : rapport sur la conservation des Jardins botaniques et du Muséum
En ce même mois, il, offre à l'Assemblée nationale son Essai historique et patriotique sur les arbres de la liberté.

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Le 4 juin 1794, Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française.

"De l'unité d'idiome ... devrait se former l'unité républicaine. [...] Nul ne peut être empêché de parler ou d'écrire son patois ou son idiome à condition qu'il sache la langue commune, charge à la Nation et à l'école de la lui apprendre."

Ainsi que l'a dit Ferdinand Brunot : "avant Grégoire, dans cet agrégat de pays disparates qui constituait l'ancienne monarchie, on n'avait que très vaguement entrevu le rôle que joue la langue dans l'unification des sociétés humaines, on ne savait pas comment elle contribue puissamment à transformer les Etats en nations, quel est son rôle comme facteur d'unité."

Le 31 juillet, fin de la Terreur, chute de Robespierre qui "après avoir usurpé le pouvoir, méditait d'assassiner la République.", dit Grégoire.
Le 29 septembre 1794, Grégoire présente un rapport et fait adopter par la Convention nationale un décret créant l'établissement du C.N.A.M (Conservatoire national des arts et métiers), qui est aujourd'hui non seulement un lieu où sont conservées et présentées de riches collections mais aussi un grand établissement d'enseignement et de recherche qui forme annuellement plus de 100.000 élèves.

"Il faut éclairer l'ignorance qui ne connaît pas et la pauvreté qui n'a pas les moyens de connaître."

Le 6 octobre, à Nantes, ville qui doit sa fortune à la traite esclavagiste, est ouverte une souscription secrète pour faire assassiner Grégoire. Cela échouera.

Grégoire et la renaissance de la liberté religieuse

Le 18 décembre 1794, Grégoire dénonce à la Convention le sort misérable fait à près de 500 prêtres réfractaires entassés sur des vaisseaux dans la rade de Rochefort. Il obtient le renvoi de l'affaire devant le comité de sûreté générale et finit par obtenir leur libération.
Le 21 décembre, avec son audace coutumière, il réclame la liberté des cultes dans un discours
qui est accueilli par les huées et les hurlements des députés montagnards et par les applaudissements
du public des tribunes.
Le 21 février 1795, la Convention nationale établit clairement la liberté des cultes et la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Le décret du 29 septembre 1795 dit :

"Nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi, nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'aucun culte et la République n'en salarie aucun."

Les clés de Notre-Dame de Paris sont remises le 11 août 1795 à une délégation composée de Grégoire et de plusieurs membres du clergé. Un an plus tard, 32000 paroisses de France peuvent entendre la messe.

Le 25 juin 1795, citant Thémistocle –"Qui est maître de la mer l'est de la terre"– Grégoire présente un rapport, suivi d'un décret sur l'établissement d'un Bureau des longitudes.

"Sans connaissance de l'astronomie, il n'y a pas de navigation possible."

En ce domaine, les Anglais ont 50 ans d'avance sur la marine française. En deux ans et demi, Grégoire gommera ce demi-siècle de retard.

Le 11 juillet, discussion sur l'état politique des citoyens. Grégoire propose d'abaisser la majorité à 16 ou 18 ans.
Le 15 septembre, Grégoire présente un rapport sur les costumes des législateurs et autres fonctionnaires publics.
Le 15 septembre également, il se distingue lors des débats sur la liberté de la presse :

"Citoyens, n'oubliez jamais que c'est la liberté de la presse qui a conquis la liberté publique. Et vous vous bornez à dire que les abus de cette liberté seront réprimés la loi !".

À propos de la liberté de la presse, Grégoire écrit dans ses Mémoires:

"J'ignore si la suite des siècles présentera en Europe le phénomène inouï d'un seul gouvernant qui ait soutenu cette liberté; mais, en dernière analyse, je la crois aussi utile pour eux que pour le peuple, puisqu'elle les avertit de l'opinion publique, la première des , et celle qui à la fin renverse et consolide toutes les autres. On a cherché sans succès la limite qui sépare cette liberté de l'abus; je ne vois rien de mieux que de la déclarer illimitée, sinon sur les personnes, au moins sur les choses politiques : les inconvénients sont abondamment compensés par les avantages. Que les gouvernants soient toujours justes, vrais et bons, ils n'auront rien à redouter de la liberté de la presse."

Le 19 octobre, rapport de Daunou à la Convention sur l'Institut national. Il prend soin de rappeler que Talleyrand, Condorcet, Grégoire et lui-même sont les pères fondateurs de l'Institut.
Le 21 octobre 1795, Grégoire est élu au Conseil des Cinq-Cents où il siègera jusqu'au 20 mai 1798. (clôture de la Convention le 25 octobre 1795)
Il propose l'emblème de la liberté. Ce sera :

"le buste d'une femme d'âge mûr et ayant de beaux traits. Son nom : Marianne, d'un seul mot; elle incarne la mère patrie, elle est l'emblème des valeurs républicaines: Liberté – Egalité – Fraternité."

Grégoire est présent dans la seconde Société des amis des Noirs; il rencontre les abolitionnistes anglais Thomas Clarckson et William Wilberforce.
Le 27 octobre, il devient membre de l'Institut national, dans la section des Sciences morales et politiques
( 25 oct. 1795, date du décret de création de l'Institut).

Le 31 janvier 1796 dans son Rapport fait au conseil des Cinq-Cents sur les sceaux de la République, il déclare :

"Il faut tout républicaniser."

Le 15 juillet 1797, il se rend en Lorraine, visite sa vieille mère au presbytère d'Emberménil puis se rend à Vého et Saint-Dié.
Le 15 août 1797 a lieu le premier concile national à Paris, après que Bonaparte ait fait la paix avec le pape. Grégoire s'est investit complètement dans cette tâche de reconstruction de l'Eglise en conformité avec la Constitution civile du clergé, en présentant, entre autres, un traité sur la liturgie en langue vulgaire.
Le 22 février 1798, violente diatribe de Grégoire contre l'Inquisition dans une lettre ouverte adressée à Don Ramon José de Arce, archevêque de Burgos, grand inquisiteur d'Espagne. Cette lettre fut traduite en espagnol et largement diffusée dans les colonies espagnoles.

Le 6 mai 1798, il soumet un rapport au Conseil des Cinq-Cents afin que l'ancienne abbaye Saint-Martin des Champs soit affectée au Conservatoire des arts et métiers afin de pouvoir y réunir les trois collections.
Non réélu au Conseil des Cinq-Cents, Grégoire est sans ressources; quasiment tombé dans l'indigence, il doit se résigner à vendre une partie de sa bibliothèque. François de Neufchâteau, qui, quoiqu'il fût athée, avait une grande admiration pour Grégoire, le nomme conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal avec appointements de 4.000 francs l'an.
Le 22 septembre 1799, il revient en Lorraine, il vient de perdre sa mère; c'est une des rares fois où il revient dans sa région d'origine.
Le 29 septembre, deuxième visite au pasteur du Ban de la Roche : «j'ai été charmé de voir à nouveau monsieur Oberlin».
Le 12 octobre, il publie un projet de réunion de l'église russe à l'église latine.
9 novembre 1799 : coup d'état de Bonaparte, fin du Directoire, mise en place du Consulat le 13 déc.:
"La révolution [... ]est finie." déclarent les trois consuls le 15 décembre...

Grégoire opposant à Napoléon

Le 26 décembre 1799, Grégoire devient membre, pour le Loir-et-Cher du nouveau Corps législatif ( la Constitution de l'an VIII fait désigner les membres du nouveau Corps législatif par le Sénat) qu'il préside
du 5 au 20 février 1800.

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Le 12 mai 1800, Grégoire lit à l'Institut national son Apologie de Barthélemy de Las Casas, évêque de Chiappa, hommage au grand défenseur des indiens d'Amérique.
En mai 1801, Grégoire publie Les ruines de Port-Royal des Champs, ouvrage dans lequel est sévèrement critiqué le despotisme de Louis XIV. Ce livre connaîtra une deuxième édition en 1809 pour le centenaire de la destruction de Port-Royal, irritant fortement Napolèon qui y lira une critique indirecte de sa propre autocratie.
Le 29 juin, Grégoire prononce le Discours pour l'ouverture du concile national de France (second concile de l'église gallicane et constitutionnelle).
Le 15 juillet 1801, signature du concordat entre Pie VII et Bonaparte.
Le 24 novembre 1801, orateur de la députation envoyée au gouvernement par le Corps législatif dont il est le président, Grégoire exprime aux consuls les vœux des français :

"rassasiés de gloire, ils éprouvent la soif du bonheur".

Automne 1801: dans une réunion au palais des Tuileries, il manifeste sa vive émotion contre le projet d'une
expédition militaire à Saint-Domingue et contre le projet de rétablissement de l'esclavage.

Le 26 décembre 1801, il est élu au Sénat malgré l'opposition de Bonaparte; tout de suite, il se range dans l'opposition.

Le 20 mai 1802, le premier consul rétablit l'esclavage et le Code noir. Grégoire et 64 autres membres du Corps législatif votent contre (211 votent pour).
En juin 1802, Grégoire voyage en Angleterre, il rencontre Wilberforce.
Le 21 janvier 1803, Bonaparte supprime la classe des Sciences morales et politiques de l'Institut, celle où siégeait Grégoire qui, par arrêté du 26 janvier 1803, est inscrit dans la classe "Histoire et littérature ancienne".
Au printemps 1803, il voyage en Hollande, en Belgique et en Allemagne. Il est accueilli par les savants et les opprimés qui lui manifestent leur reconnaissance. De ces rencontres sans doute naît son Plan d'association générale entre les savants, gens de lettres et artistes, pour accélérer les progrès des bonnes mœurs, association dont le siège serrait à Francfort sur le Main.

"Là se réuniraient, des diverses contrées du globe, des hommes versés dans toutes les branches de science et de littérature; [...] Le génie qui crée, le talent qui perfectionne, l'imagination qui embellit, la philanthropie qui ramène tout au bonheur des hommes viendraient y puiser une nouvelle énergie par le rapprochement des lumières et des sentiments."

Bonaparte lui confère le titre de comte et l'élève à la dignité de Commandeur de la Légion d'honneur.
En mai 1804, Grégoire proteste contre le projet établissant l'Empire et, pis encore, l'Empire héréditaire.
Le 18 mai 1804, Bonaparte se fait conférer le titre d'empereur.

Le 4 juin 1804, Grégoire rédige son premier testament.
Le 27 juillet 1804, lettre du Cardinal de Bellot à Grégoire lui confirmant l'autorisation de célébrer la messe.
En août 1805, Grégoire voyage en Allemagne avec son ami génois Eustachio Degola. C'est à Helmstedt qu'il rencontre Goethe.
Le 1er mars 1808, il vote contre le rétablissement du majorat, de la noblesse héréditaire et des titres héraldiques.
Le 12 mars 1808, il achète à Grange-Neuve une propriété rurale qu'il afferme.

En 1808, il publie son ouvrage De la littérature des Nègres, ou recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature, suivies de notices sur la vie et les ouvrages de Nègres qui se sont distingués dans les sciences, les lettres et les arts.

Le 1er juillet 1809, il se rend de nouveau en Lorraine, en particulier sur les tombes de ses parents à Vého et à Emberménil.

En janvier 1810, il publie la première édition de son Histoire des sectes religieuses. Fouché (qui s'était rendu célèbre pendant la Révolution pour la férocité avec laquelle il avait réprimé l'insurrection lyonnaise en 1793, qui était devenu ministre de la police sous le Directoire et l'Empire, que Napoléon avait fait comte Fouché et duc d'Otrante), fait saisir l'édition.
Le 1er avril 1810, mariage de Napoléon et Marie-Louise d'Autriche, fille aînée de l'empereur François 1er d'Autriche; Grégoire jette au feu les invitations reçues.

Le 1er juillet 1813, il conduit à Plombières, pour y prendre les eaux, madame Dubois, sa logeuse et gouvernante ("Madame Dubois, ma mère adoptive", dit-il) depuis son arrivée à Paris en 1789.
Le 2 avril 1814, après avoir demandé le 31 mars la déchéance de Napoléon, Grégoire assiste à la séance où est votée cette déchéance qui sera effective le 6 avril 1814.
Le 24 avril, Louis XVIII revient en France
Le 14 mai, l'ancien curé d'Emberménil adresse au tsar Alexandre 1er et à Louis XVIII un projet de fusion des églises orthodoxe et chrétiennes. Il n'aura jamais de réponse.
Le 14 juin, le pouvoir suspend sa pension de sénateur. Cette pension était pourtant garantie par la charte proclamée par Louis XVIII... (Le 4 juin, une ordonnance allouait 36.000 francs or aux ex-sénateurs.)

En octobre 1814, s'ouvre le congrès de Vienne auquel Grégoire adresse une lettre dans laquelle il demande l'arrêt immédiat de la traite et de l'esclavage qu'il signe "Un ami des hommes de toutes les couleurs."

Le 20 mars 1815: retour de l'Ile d'Elbe de Napoléon. Grégoire ne fait pas partie de la nouvelle chambre.
Le 29 mars, Napoléon supprime solennellement la traite mais non l'esclavage.
Le 22 juin, seconde abdication de Napoléon.
Le 7 juillet, Grégoire demande à l'Assemblée que l'abolition de la traite soit inscrite dans la constitution.

Le 11 mars 1816, par ordonnance du roi, il est exclu de l'Institut.

En 1817, il reprend le projet de son plan d'association générale entre savants, gens de lettre et artistes.

Le 7 décembre 1818, il rappelle au cardinal Fontana, à Rome, qu'en 1683 "le cardinal Cibo écrivait aux missionnaires du Congo, en vue de réformer l'usage de vendre les hommes et les réduire à l'esclavage."
Rome ne répondit pas; seulement en 1839, une bulle de Grégoire XVI condamnera l'esclavage et la traite.

Le 30 septembre 1819, Grégoire est élu à la Chambre des députés par les électeurs de l'Isère, à la grande fureur de Louis XVIII qui le fait exclure pour "indignité nationale".
Le 19 décembre, Haïti annonce l'ouverture d'une souscription pour la réalisation d'un buste de Grégoire.

Le 1er juillet 1820, la pension de sénateur lui est restituée mais l'arriéré ne fut jamais payé.
Le 30 décembre 1820, dans une lettre, Grégoire écrit :

"depuis six ans mon existence présente un singulier phénomène. D'un côté tout ce que la calomnie, la fureur, la rage peuvent déployer contre un homme, de l'autre, des apologies bienveillantes de la part de nationaux et d'étrangers qui élèvent au ciel un homme que d'autres jetteraient en enfer".

En 1822, retournant un jour à la salle du Jeu de paume, il confie en pleurant au peintre Louis David :

"C'est en ce lieu que j'ai vu naître tant d'espoir, mais également tant de désillusions."

Il publie une traduction de l'ouvrage de Clarckson L'histoire du commerce homicide appelé traite des noirs
et rédige Des peines infâmantes à infliger aux négriers.

Le 19 novembre 1822, il annonce son Abdication volontaire et motivée au titre de commandeur dans la Légion d'Honneur.
Le 22 octobre 1825, il ajoute une note manuscrite dans son testament, sur la tenue à tenir durant son agonie.

En 1825, deux représentants de la République haïtienne viennent à Paris. En secret, ils rendent visite à Grégoire et se jettent à ses pieds en reconnaissance du combat mené pour leur liberté.
En 1826, il publie son dernier pamphlet contre les esclavagistes et les racistes : De la noblesse de la peau, ou du préjugé des blancs contre la couleur des Africains et de leurs descendants noirs et sang-mêlé.

En janvier 1830, une campagne de presse se déchaine contre Grégoire.
Les 27, 28 et 29 juillet 1830, «les trois glorieuses». Grégoire se félicite de voir flotter le drapeau tricolore sur les édifices nationaux.

Au printemps 1831, atteint d'un cancer généralisé, il sent ses forces l'abandonner. L'abbé Baradère sera son
exécuteur testamentaire.
Dans un codicille à son testament, il affecte des fonds à six prix de 1000 fr chacun à décerner au concours sur des questions qui lui tiennent particulièrement à cœur, telle que, par exemple, les moyens de lutter contre les préjugés racistes. Il affecte également des fonds pour l'éducation d'enfants pauvres.

Le 6 mai, sa propre église lui refuse les derniers sacrements parce qu'il refuse de rétracter le serment civique qu'il avait prêté à l'Assemblée constituante.
Le 25 mai, Monseigneur Guillon, évêque de Beauvais, enfreignant les ordres donnés par sa hiérarchie ecclésiastique, administre les derniers sacrements à l'abbé Grégoire. Cet acte de générosité chrétienne lui fit perdre son évêché de Beauvais.
Le 28 mai 1831, à 16 heures, l'ancien curé d'Emberménil expire.
Le 31 mai, jour des obsèques, plus de 25.000 personnes assistent à ses funérailles. Sa dépouille est inhumée au cimetière du Montparnasse.

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Sur la croix, sera gravée à sa demande cette prière :

" Mon Dieu, faites moi miséricorde et pardonnez à mes ennemis "

" Ma voix et ma plume n'ont cessé de revendiquer les droits imprescriptibles de l'humanité souffrante, sans distinction de rang, de croyance, de couleur."

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Parmi beaucoup d'écrits de Grégoire que nous pourrions citer, nous choisissons cette phrase en guise de conclusion.